La systématisation des box fermés dans les salles d’audience
Est dénoncé de plus en plus régulièrement l’apparition de box fermés majoritairement à l’aide de plaques de verre dans les prétoires des tribunaux. Simple mesure de sécurité ? Non encore une fois résignation face à une dérive sécuritaire… résurgence dans ce domaine des effets anxiogènes des attentats !
Mais cet usage pose question car il définit comment notre démocratie entend rendre la justice.
La dimension théâtrale du procès pénal assure une fonction cathartique de résolution des conflits entre les personnes comme le précise Gérard Soulier par une « psychothérapie collective », visant à renforcer la cohésion sociale. Ainsi, la scénographie judiciaire n’est pas anodine dans la manière de juger et influe sur le respect des principes de notre démocratie. L’architecture dans la sacralisation des audiences assume un rôle déterminant dans l’accomplissement de l’œuvre de juger.
Alors qu’au titre de l’article 318 du code de procédure pénale, « l’accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l’empêcher de s’évader », une telle systématisation de ces cages sécurisées procède en toute autorité à une révolution de la conduite du procès pénal. Il y a dans la systématisation de l’emploi de ces cages de verre un déterminisme architectural de la culpabilité. Beaucoup de professionnels parlent d’« aquarium », et ce comparatif renvoie d’une part à une mise en scène d’une personne enfermée que l’on regarde mais aussi au conditionnement des personnes amenées à comparaître dans les apparats d’une dangerosité supposées.
Sous couvert d’un pragmatisme fantasmé et d’une efficacité non objective, le ministère de la justice développe dans nos tribunaux une idéologie sécuritaire et attentatoire à la présomption d’innocence et aux droits de la défense. En effet, après avoir réduit la politique pénitentiaire au tout carcéral, désormais ce sont les salles d’audience, qui font les frais de ce tropisme sécuritaire, qui distillent dangereusement cette idéologie qui veut imprégner la violence de l’enfermement dès la présomption d’innocence.
Les professionnels de la justice dénoncent une véritable atteinte à la présomption d’innocence, aux droits de la défense, une déshumanisation des justiciables en les réduisant à une dangerosité supposée, … Un recours a d’ailleurs été déposé devant le Défenseur des droits par la section locale du Syndicat des avocats de France le 13 octobre dernier et le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a été saisi.
Lors de la visite de la commission des Lois du tribunal de grande instance de Paris aux Batignolles, il était aisé de constater le caractère déshumanisant de ces box, qui réduisent les personnes à des animaux en cage, plus présumées dangereuses qu’innocentes ! Ce principe est posé comme postulat a priori, par la configuration même de l’espace du tribunal. Il est indéniable que ce modèle a un impact psychologique déplorable sur les prévenus mais aussi sur les jurés dans les cours d’assises, qui devront se prononcer sur la culpabilité de quelqu’un à l’égard duquel sont érigées des mesures importantes de sécurité.
Ces box vitrés ultra sécurisés érigent des barrières entre le justiciables et la justice et il est de notre devoir de s’interroger sur la manière dont on juge les personnes, qui jusqu’à preuve du contraire restent présumées innocentes.
Alors qu’aucune statistique ou étude d’impact n’est actuellement produite sur la sécurité dans les salles d’audiences (nombre de violences constatées, d’évasions), le modèle actuel sécuritaire se propage sur toute la France et rencontre la contestation des professionnels de la justice, avocats et magistrats : Aix-en-Provence, Bobigny, Colmar, Créteil, Evry, Grenoble, Meaux, Nanterre, Paris-Les Batignolles, Pontoise, Saint-Etienne, Strasbourg, Versailles, …
Si aujourd’hui ce modèle s’inscrit dans le procès pénal, quelles sont nos garanties que demain ce ne sont pas d’autres audiences qui pourront ainsi voir s’ériger des cages entre les juges et les justiciable ? Ce qui ne répond d’ailleurs pas aux craintes légitimes des juges uniques qui dans des situations peuvent avoir des craintes quant à leur sécurité. Ce modèle de justice est nocif pour la démocratie ; car plus elle se prononcera loin du peuple et dans la défiance de l’humain, plus elle accentuera la crispation et la défiance envers l’autorité : la systématisation conscientise la distance entre l’Etat et le citoyen !
La France insoumise n’a pas cette conception de la justice, qui renonce à assumer le rôle de cohésion sociale du procès. Encore une fois l’humain doit être au cœur de cette réflexion ! En effet, les gouvernements successifs ne répondent pas au manque de moyens humains et financiers pour les extractions judiciaires et à l’absence de véritable réflexion sur le rôle assuré par ces agents, en terme notamment d’évaluation des risques.
En conséquence, il faut condamner fermement ce modèle architectural, qui consacre une déshumanisation et un déterminisme de culpabilité pour les prévenus.
Il faut condamner également l’application systématique des règles de sécurité les plus dures pour l’ensemble des profils, considérant que l’usage des box ultrasécurisés doit être restreint à des situations particulières définies selon des critères objectifs.
Enfin, il faut condamner l’atteinte aux droits de la défense, que constitue la systématisation de cette pratique, qui par sa généralisation constitue un moyen disproportionné et donc contraire aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ainsi qu’à l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Fin décembre 2017, la garde des Sceaux gèle l’installation des box sécurisés dans les tribunaux jusqu’à nouvel ordre et rejoint le camp des « raisonnables ». Le ministère annonce même avoir lancer un audit sur les équipements de ce type déjà installés. Encore une fois, est-ce là le sens de ce ministère ? Ne réagir que lorsque les professionnels et citoyens se mobilisent ? Ce fonctionnement décrédibilise le fonctionnement de l’administration qui lance un audit après coup… Nous ne sommes pas dupes de ce simulacre de communication. Le ministère de la justice est responsable de cette cacophonie et tente vainement de montrer un semblant de professionnalisme.
La France insoumise restera vigilante quant à la réponse du ministère, car il ne serait pas bon d’étouffer ces débats, qui sont fondamentaux pour notre justice
Voir la question écrite posée à la Mme la garde des sceaux, ministre de la justice: http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-3753QE.htm
Ugo Bernalicis, Député France insoumise du Département du Nord
Antoine Béchet, Attaché parlementaire