Voyage au coeur de la mousse (et des automates) : La brasserie Heineken à Mons-en-Baroeul.
Quoi de mieux qu’un lendemain de coupe du monde au bar ? Le 16 juillet, nous avons fait mieux en nous rendant à la source : la brasserie Heineken de Mons-en Baroeul. Il s’agit ici de revenir sur la structure et les enjeux d’un secteur en pleine croissance, dans le cadre du groupe d’étude sur la filière brassicole dont je fais partie à l’Assemblée nationale.
La brasserie de Mons en Baroeul est fondée à Lille en 1921 avec la marque “Pelican” qui deviendra Pelforth en 1972. La brasserie se déplace à Mons en 1975 et rejoint le groupe Heineken en 1986. Groupe hollandais datant du milieu du XIXème siècle, appartenant à la famille du même nom, qui détient aujourd’hui encore 30% du capital de la firme. Une entreprise “familiale” qui emploie environ 20 000 salariés en France.
La filière brassicole: une dynamique de croissance
En France, c’est près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires que Heineken génère chaque année. Sur les 20 millions d’hectolitres produits chaque année en France, Heineken délivre un bon quart et la capacité de la Brasserie de Mons s’élève à 3,3 millions d’hectolitres soit 16,5 % de la production française. La “Heineken” et la Desperados “ Despé” pour les intimes, tire l’activité de la Brasserie, avec respectivement 18% et 6 % de part de marché en volume à l’échelle de la France. Des résultats qui s’expliquent en partie par la stratégie du groupe : centraliser la production sur 3 brasseries situées dans ou à proximité des bassins de consommation. On compte ainsi trois brasseries en France, une à Marseille, une à Schiltigheim près de Strasbourg et une à Mons-en Baroeul. Outre qu’une telle stratégie permet de diminuer les coûts de distribution, ce choix s’explique par la rentabilité des marques locales telles que Pelforth dans le Nord ou Fischer en Alsace. Des produits ancrés dans un territoire, qui entrent dans la stratégie de valorisation du “local” déployée par le groupe. La brasserie de Mons compte 130 références de produits : Les différentes bières produites sont proposées dans des conditionnements différents.
Une filière par ailleurs en pleine croissance et créatrice d’emploi. Sur les 3 dernière années, l’usine Heineken de Mons en Baroeul a effectué plus de 100 recrutements et compte embaucher 20 salariés supplémentaires en 2018. Une croissance qui s’explique par un regain d’intérêt pour la bière et une évolution des perceptions sur ce produit depuis quelques années. Sous l’effet de la multiplication des micro-brasseries, on en compte plus de 1100 en France, et des investissements en recherche et développement des gros groupes, la bière est montée en gamme. Si certains la comparent au vin aujourd’hui, quitte à parler de “zythologie” (équivalent d’oenologie), il s’agit bien d’une nouveauté et d’une comparaison impensable il y a quelques années. Une évolution dans les perceptions qui ouvre de nouveaux marchés à un produit longtemps considéré comme “populaire”.
Une nouvelle image pour le breuvage
Un enjeu d’avenir pour le secteur: les habitudes, les souhaits des consommateurs et leurs évolutions. Existerait-il deux, voire davantage, de marchés distincts de la bière? Dans les années 90 et 2000, cette boisson a pâti d’une image négative associée à des stéréotypes : hooliganisme, alcoolisme de comptoir, qualité médiocre des produits commercialisés. Les grands groupes se sont lancés à la conquête de la jeunesse avec des produits plus sucrés et plus jeune en terme de marketing, la despé étant l’archétype de cette tendance. La renaissance brassicole, aux USA, en Belgique, en France les a ensuite conduits à soigner une image plus “terroir”. La consommation de bières de fermentation basse reste prépondérante dans les habitudes de consommation des français.
Le modèle Heineken : concentration verticale et horizontale
Derrière l’image “terroir” se cache pourtant un mastodonte de la bière, 20 milliards d’euros de Chiffres d’affaires avec 200 brasseries dans le monde, dont 67 qui produisent la bière phare du groupe. Les 3 multinationales de la bière se lancent dans des politiques de rachat de marques ou de prises de participations dans de nouvelles brasseries, y compris artisanales. Cette expansion/concentration s’effectue à l’échelle mondiale comme le montre le rachat de la Craft Brewery américaine Lagunitas par Heineken. Image de marque oblige, le groupe veut développer son emprise sur différents marchés, y compris sur des produits et des processus plus exigents et contraignants comme l’illustre le rachat de la Brasserie Mort Subite, qui produit des bières à fermentation spontanée typique de la région bruxelloise.
Une stratégie d’expansion dans laquelle s’inscrit le rachat en 1986 de France boisson, un des principal acteur de la distribution de boisson aux professionnels. Une entreprise qui fournit ¼ des hôtels et restaurants français, soit 54 000 établissements, depuis 73 centres de distribution. La concentration verticale, qui consiste à regrouper des entreprises complémentaires et clientes les unes des autres, est ici la stratégie de Heineken qui a par là considérablement accru sa maîtrise du marché. Depuis la production jusqu’à l’acheminement dans votre restaurant, tout est désormais sous contrôle du géant de la boisson.
Une concentration qui va de pair avec une mécanisation toujours plus poussée de la production. Le centre névralgique de la Brasserie se situe à proximité des anciennes installations de la brasserie originelle qui ont été conservées et qui nous permettent de nous remettre en mémoire le processus de fabrication de la bière.
Fabrication automatique
Le fonctionnement de la brasserie est aujourd’hui entièrement automatisé. Tout est contrôlé à partir d’une salle de commande où l’ensemble des pompes, cuves et filtres de la brasserie sont apparents sur les moniteurs. Les salariés s’assurent du respect des températures et constatent les dysfonctionnements. Les techniciens se tiennent prêt à intervenir en cas de panne. Pas de détour par la salle de brassage.
Le hangar dédié à l’embouteillage et à l’empaquetage est immense. Des coursives surélevées qui longent les murs, on observe l’ensemble des machines et opérations nécessaires à la commercialisation. Le bruit est omniprésent et les salariés sont rares, si ce n’est quelques techniciens opérant sur les machines. La encore le degré d’automatisation est extrême.
L’usine compte 6 lignes de conditionnement. Lavage, Remplissage, encapsulage pasteurisation se réalisant sur des espaces et des temps très réduits. Suit l’empaquetage puis l’empaletage, la encore automatisé.
On peut s’interroger sur l’avenir de cette industrie brassicole au moment où la question de la transition vers une agriculture durable, biologique intégrée aux activités agro-alimentaires locales se pose avec acuité. Aujourd’hui ce secteur répond à une demande qu’il a largement contribué à créer mais les amateurs de Pils et de Lager sont légions. Cela doit aussi se penser en prenant en considération la nécessité d’une consommation plus responsable à tout point de vue. La dynamique de croissance des bières artisanales peut nous permettre d’envisager une transformation en profondeur des objectifs et des produits de cette industrie brassicole à moyen terme : approvisionnement de proximité, travail collaboratif avec des brasseurs plus modestes, diversification.
Une politique adaptée pour la filière brassicole
Si le malt et l’orge utilisés par Heineken sont issus de l’agriculture française, ce n’est pas le cas du houblon qui est majoritairement importé des Etats-Unis. La production française de houblon est trop faible pour approvisionner les brasseries du territoire. Les gros acteurs s’en sortent en se fournissant à l’étranger, mais les micro-brasseries, les acteurs qui suivent une procédure artisanale peinent à trouver une source d’approvisionnement locale durable. Le problème est que les investissements requis et les connaissances nécessaires constituent un frein au mouvement de relocalisation d’une culture qui met environ 3 ans pour arriver à maturité. Encourager la culture du houblon en France par des politiques volontaristes est donc un véritable enjeu pour le développement d’une filière brassicole nationale.
Du neuf pour la filière
D’autant que, cela a été dit, le secteur porte une dynamique positive qui doit être soutenue par des politiques publiques adaptées : valorisation de la culture du houblon mais aussi rejet ferme des pesticides. Selon une étude menée par 60 millions de consommateurs, 3 bières sur quatre contiennent des traces de glyphosate, pesticide jugé cancérogène par l’OMS. Des traces, certes négligeables, qui n’en restent pas moins inquiétantes et qui offrent au secteur une mauvaise presse dont il se serait bien passé. Pourtant le gouvernement ne prend pas la mesure de l’enjeu puisque l’amendement sur l’interdiction du glyphosate a été rejeté en catimini à l’Assemblée, lors d’une séance tenue de nuit au cours de laquelle très peu de députés étaient présents.
Impossible, dans ces conditions, d’assurer une production bio en circuit court à l’heure où le glyphosate est omniprésent et qu’un des ingrédients de base de la bière n’est pas disponible en France. Il est plus que temps de prendre en compte les évolutions de la filière et d’acter des politiques publiques cadrant un développement local et responsable. Des préoccupations qui touchent à de nombreux enjeux primordiaux : emploi, environnement, santé publique… mais aussi nos papilles, ce qui n’est pas des moindres.